Biography
« LE CIEL, CETTE CHOSE ÉGALITAIRE »

Adam Bogey : J’ai eu très rapidement un sentiment de désœuvrement. Un sentiment qui s’est exprimé de multiples façons. Étudiant, j’ai voulu déconstruire toute la notion d’œuvre. Arrêter même de faire de l’art. Puis, je suis revenu à la peinture en découvrant mieux mes racines mexicaines et la culture de ce pays.

Je commençais à me tenir hors de l’idée d’avant ou d’arrière-garde. Et j’ai réfléchi à comment passer au mieux ce temps bref que j’avais devant moi. Je voulais faire des choses simples, quelque part au cœur de la vie, et non une activité qui se place au-dessus des autres.

Je voulais une pratique sans contrainte d’argent, sans contrainte de place, sans impact sur l’environnement, qui n’embêterait personne. Je voulais remplir mes heures désœuvrées à une action manuelle douce, laisser à la fois la main et l’esprit divaguer. Je voulais un sujet simple et intemporel. Un sujet qui avoue à la fois mon enthousiasme pour le mouvement perpétuel des choses, mais qui révèle aussi notre impuissance face aux mystères du monde et à tous ces possibles.

Je voulais que ma mère et un critique d’art puissent appréhender ma peinture, sans rien attendre d’eux en retour.
Alors ce fut le ciel. Cette chose égalitaire que nous pouvons tous contempler en levant la tête, cette chose sans cesse en mouvement, absorbant les rêves de toutes les époques, mais subissant l’hystérie de la nôtre, me paraît, comme tant d’autres avant moi, un idéal à peindre. Comme tout le monde, finalement, je peins la matière, la lumière et le temps. Il n’est peut-être plus question de peindre le nouveau, mais de peindre, d’autant plus aujourd’hui, ce qui ne sera jamais assez dit : l’étrangeté.

Extrait interview Adam Bogey / herman de vries

par Sandra Barré

artpress revue, octobre 2020

 


 

« THE SKY, THIS EGALITARIAN THING »

 

Adam Bogey : I very quickly had a feeling of idleness. A feeling that expressed itself in many ways. As a student, I wanted to deconstruct the whole notion of artwork. To stop even making art. Then I came back to painting as I discovered more about my Mexican roots and the culture of that country.

I was starting to get away from the idea of being part of the vanguard or the rearguard. And I thought about how best to spend the short time I had ahead of me. I wanted to do simple things, somewhere at the heart of life, and not an activity that would place itself above the others.

I wanted to do something that didn't cost too much, didn't take up too much space, had no impact on the environment and wouldn't bother anyone. I wanted to fill my idle hours with a gentle manual action, to let both hand and mind wander. I wanted a simple, timeless subject. A subject that at once confessed my enthusiasm for the perpetual movement of things, but also revealed our powerlessness in front of the mysteries of the world and all its possibilities.

I wanted my mother and an art critic to be able to see my work, without expecting anything in return.

Then it was the sky. This egalitarian thing that we can all contemplate by raising our heads, this thing constantly in motion, absorbing the dreams of all eras but suffering the hysteria of our own, seems to me, like so many others before me, an ideal to paint. Like everyone else, in the end, I paint matter, light and time. Perhaps it's no longer a question of painting the new, but of painting, all the more so today, what can never be said enough: strangeness.

 

Interview extract Adam Bogey / herman de vries
by Sandra Barré
artpress revue, octobre 2020
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Toucher l’horizon

 

Accoler les cieux de l’artiste franco-mexicain Adam Bogey aux terres du néerlandais herman de vries renvoie aux deux points d’acmés que sont l’en-haut et l’en-bas, origines de tous les mythes. Ici, Gaïa, la terre mère créatrice retrouve Ouranos, dieu du Ciel et de l’Esprit dans une idée atemporelle d’union au seul lien perceptible. Ce lien, ce fil couché n’est autre que cet horizon absent des oeuvres, impossible quête de l'absolu, que leur dialogue fait naître ici. Un vide laissé à l’interprétation que ces deux séries, opposées, mais complémentaires, nourrissent.

 

D’un côté, la série « Fuegos » d’Adam Bogey trouve dans ses aplats de couleurs, myriade de références à sa double nationalité. Les chaudes teintes qu’il emploie s’exhument des pigments préhispaniques, des fresques de Diego Rivera, et de la douceur de Claude Monet ; mais renvoient à des leviers plus durs et plus actuels. Ces peintures émergent lorsqu’il assiste, impuissant aux côtés de l’ensemble de la planète, aux terribles feux ayant détruit l’Australie et l’Amazonie. Basses, torturées, déchirées, ces trainées de couleurs se chargent des frayeurs contemporaines d’une nature hurlant au désespoir et s’inscrivent dans la représentation fascinante des embrasements d’azur des grands maîtres. Le sentiment du sublime que l’on peut retrouver dans les toiles de Claude Lorrain ou Turner et dans les études de ciel de Delacroix fait alors étrangement écho au kitsch de l’assourdissante base iconographique des photographies de coucher de soleil que les débuts de l’ère numérique ont largement exploité. Fantasmé à outrance, cet espace lointain, omniprésent et si vaste que peut être le ciel est réduit à une respiration primaire, celle d’un pastel gras qui trace un mystérieux mélange autant observé que rêvé.

 

Ce que l’on pourrait envisager comme un rappel à l’art préhistorique apparaît autrement dans le geste essentiel de la main d’herman de vries à la surface des From earth. Sur du papier, il saupoudre de la terre issue de divers endroits du monde et l’étale, du bout des doigts (majoritairement du pouce), en des mouvements droits et réguliers. Cet effleurement engage un comportement qui devrait résonner en chacun d’entre nous : caresser, prendre conscience et contempler le sol que nous foulons. Alors, l’artiste, par ce geste rituelique sacralise ce qu’il touche et offre à voir. En extrayant la banalité supposée de ce que l’on a tendance à enfermer sous le béton, en le portant au mur, il lui redonne toute l’étendue de sa puissance. Bogey et de vries se rejoignent en un message s’étalant au-delà même de considération écologique. Ils forcent à s’arrêter sur ce qui, bien qu’immensément complexe, s'envisage encore insensément pour certains comme quelque chose à conquérir : le ciel et la terre.

 

Tant de résurgences éclosent dans la poésie des couleurs que juxtapose Adam Bogey ou que décline herman de vries. Nuances et contrastes viennent éveiller l’éternel d’un paysage quotidiennement mouvant et ce depuis que la terre semble être née. Y a-t-il plus singulier et plus banal à la fois que l’embrasure de nuages jouant avec le soleil ? Y a-t-il plus simple qu’une poignée de poussière offerte par le sol ? Par leurs touches respectives, chacun à une extrémité du monde, l'un proche du post-impressionnisme, l'autre du minimalisme, Boge et de vries rappellent qu’il est parfois important de réactualiser le statut d’un artiste passeur du réel, pour pouvoir mieux s’y attarder.

Sandra Barré, printemps 2020

 


 

Touching the Horizon

 

Embracing the skies of the Franco-Mexican artist Adam Bogey with the lands of the Dutchman Herman de Vries refers to the two acme points that are the above and the below, the origins of all myths. Here, Gaia, the creative mother earth, reunites with Uranus, the god of Heaven and Spirit, in a timeless idea of union through the only perceptible link. This link, this lying thread, is nothing but the absent horizon of the works, an impossible quest for the absolute, born here through their dialogue. A void left to interpretation that these two series, opposing but complementary, nourish.

 

On one side, Adam Bogey's series "Fuegos" finds in its color fields a myriad of references to his dual nationality. The warm hues he employs emerge from pre-Hispanic pigments, Diego Rivera's frescoes, and the softness of Claude Monet; yet they allude to more harsh and current levers. These paintings emerge when he witnesses, alongside the entire planet, the terrible fires that destroyed Australia and the Amazon. Low, tortured, torn, these streaks of colors carry the contemporary fears of a nature screaming in despair and fit into the fascinating representation of the azure conflagrations of the great masters. The sublime feeling that can be found in the paintings of Claude Lorrain or Turner and in the sky studies of Delacroix strangely echoes the kitsch of the deafening iconographic base of sunset photographs that the early digital era widely exploited. Fantasized excessively, this distant, omnipresent, and vast space that the sky can be is reduced to a primary breath, that of a thick pastel that traces a mysterious blend as much observed as dreamed.

 

What could be considered a reminder of prehistoric art appears differently in the essential gesture of herman de vries's hand on the surface of "From Earth." On paper, he sprinkles earth from various places around the world and spreads it, using the tips of his fingers (mostly the thumb), in straight and regular movements. This gentle touch engages a behavior that should resonate with each of us: to caress, become aware, and contemplate the ground we tread. Thus, the artist, through this ritualistic gesture, sanctifies what he touches and offers it for viewing. By extracting the supposed banality of what tends to be enclosed under concrete and bringing it to the wall, he restores its full power. Bogey and de vries converge in a message that extends beyond ecological consideration. They compel us to pause and reflect on something that, although immensely complex, is still foolishly perceived by some as something to conquer: the sky and the earth.

 

So many resurgences blossom in the poetry of colors juxtaposed by Adam Bogey or unfolded by herman de vries. Shades and contrasts awaken the eternal in a landscape that is constantly changing daily since the earth seems to have been born. Is there anything more singular and banal at the same time than the embrace of clouds playing with the sun? Is there anything simpler than a handful of dust offered by the ground? Through their respective touches, each at one end of the world, one close to post-impressionism, the other to minimalism, Bogey and de vries remind us that it is sometimes important to update the status of an artist as a conduit of the real, in order to better linger on it.

 

Sandra Barré, Spring 2020"

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